A cet instant, Paul Drumond entra dans la chambre. Marie eut juste le temps de se recomposer un visage qu’il lui tendit les bras, la serrant contre lui, puis, suivant un rite mille fois répété, il lui caressa les cheveux. Je suis désolé, ma chérie, tellement désolé ! papa … Mon bébé… Tu n’as rien à te reprocher, tu n’y es absolument pour rien- puis inquiet, il s’enquit
- Dis-moi, comment vas-tu ?
- Bien, je vais bien papa, répondit-elle en se dégageant. Je vais bien – détachant chaque mot.
- Tu en es vraiment certaine ?
C’est alors qu’il lui remit une mèche de cheveux derrière l’oreille. Nikolaï avait l’habitude de faire ce geste aussi. Quand il le faisait, ses yeux devenaient plus doux et …
- Marie ? Ma chérie, tout va bien ?
- Non .. Si ..si bien sûr papa, j’étais perdue dans mes pensées.
- Je retrouve ma petite fille, tu n’as pas changé.
- Plus que tu ne le crois … Je sais qu’ils t’ont … fais du mal … Papa … s’il te plaît ! Je veux juste oublier.
Un silence étrange s’installa entre eux. Jusqu’alors, le père et la fille avait eu une relation complice, Marie partageait beaucoup avec lui. Il savait tout de ses chagrins, ses angoisses ou petits bonheurs, mais cette fois-ci, il lui était impossible de parler. Les mots ne pouvaient ni ne voulaient franchir sa bouche. Marie était certaine que sa mère aurait pu la réconforter. Elisabeth aurait su lui donner la force de continuer. Elle lui aurait aussi expliqué pourquoi Nikolaï était si fortement ancré dans sa tête, pourquoi tout ce qu’elle faisait la ramenait inévitablement vers lui. Les médecins qu’elle avait vus, lui avaient expliqué qu’elle risquait de développer un syndrome de Stockholm. Selon eux, elle s’était attachée à ses ravisseurs. Elle leur avait rit au nez. Qu’un lien très étroit se soit noué entre elle et Sophia, c’était un fait mais Pavel … Elle l’aurait volontiers occis à la petite cuillère celui-là. A cette idée, elle sourit…
- Un sou pour tes pensées ma chérie …
- Oh Papa, s’il te plait !! Je n’ai plus 12 ans !
- Excuse- moi
- Pardon … Ce n’est pas grave, la rassura-t-il. Et si tu allais te changer ? Je ne voudrais pas rater l’avion. Il est temps que nous rentrions chez nous.
- Tu as raison …
Au même instant, un bruit de moteur se fit entendre, les policiers anglais s’en allaient, ne restaient que les deux officiers chargés de sa sécurité.
- Papa ?
- Oui ?
- Quand tu es arrivé, as-tu vu une grosse berline noire dans la cour ?
- je crois oui pourquoi ?
- Il y avait une femme dans la voiture, tu l’as vue ?
- Une jeune femme à l’air craintif oui
- Rousse ?
- Oui mais pourquoi ces questions ma chérie ?
- Pour rien … Je vais m’habiller
Sophia était en vie. Elle n’avait pas rêvé et l’avait bien vue entrer dans ce véhicule. Mais Marie ne comprenait pas. Nikolaï, les policiers, tous lui avaient annoncé le décès de son amie. Elle avait vu le corps inanimé de la jeune femme qui avait été jeté dans le fleuve. Pourquoi lui avait-on menti ? Pourquoi Nikolaï lui aurait-il fait croire être responsable de la mort de son amie ? Il n’était pas cruel. Jamais, il ne l’aurait traité ainsi sans une bonne raison. Une petite voix vint pourtant briser ses certitudes. Il était violent, il l’avait démontré à maintes reprises et pas seulement en la violant ou la frappant, il s’en était pris aussi à ceux qui avaient essayé de la violer à leur tour. Les raisons de son acte échappaient encore à la jeune femme. Pourquoi avait-il si soudainement et férocement changé d’avis ? Se pouvait-il qu’il ait été soucieux d’elle ? Il l’avait prise contre lui et l’avait bercé. Elle s’était sentie à l’abri dans ses bras, protégée …
- Non !! – cria-t-elle à son reflet dans le miroir puis plus bas- Non… Il ne faut pas que tu penses ainsi … ce type est une ordure, une vermine rien de plus !
Quand il entendit sa fille crier, inquiet, Paul Drumond frappa à la porte de la salle de bain.
- Marie ? Tout va bien ?
- Oui ! J’ai presque fini
La voix de Marie n’était pas très sûre, mais il se contenta de ses déclarations. Il n’était pas fier de sa conduite mais ne pouvait faire face à la réalité. Il préférait croire à tous ses mensonges destinés à le rassurer plutôt que de faire face à l’ignominie que son bébé avait subie. La porte s’ouvrit et elle apparue. Elle avait revêtue un jean et une chemise d’homme, et paraissait bien plus jeune que ses 28 ans.
- Ca va papa ?
- Tu ressembles tellement à ta mère ! –lui répondit-il la voix étranglée
- Ah ?? Elle avait l’habitude de te voler tes chemises maman ?
- Dés qu’elle voulait peindre ! Et bien souvent, comme les manches la dérangeaient, elle les coupait au niveau du coude. Si tu savais le nombre de chemise qu’elle m’a détruite ainsi !
- J’aurais aimé avoir son talent pour le dessin
- Tu en as hérité d’autre ! Tu as sa patience, son imagination et le don qu’elle avait avec les enfants.
- Merci papa
Elle l’embrassa sur la joue, il la prit contre lui.
- J’aurais voulu être là, j’aurai du te protéger
- Nikolaï l’a fait papa…
Interloquée, elle n’osa pas lever les yeux vers son père. Les mots lui étaient venues à la bouche sans qu’elle n’y réfléchisse.
-Je ne sais pas qui il est mais je lui dois beaucoup alors …
Paul était blessé. Il ne savait pas qui était ce Nikolaï mais il était visiblement important aux yeux de sa fille. Il l’avait pris soin d’elle et elle semblait reconnaissante.
- Où puis-je le trouver ?
- Pour ?? Le remercier en personne
- Tu veux le remercier ? Nikolaï ??
- Oui
- Ah … Et bien pour le trouver, il te suffit juste de te rendre dans le bordel où il m’a retenue prisonnière
Il y avait tant de froideur dans l’expression de Marie que Paul, choqué, recula d’un pas. Il ne la reconnaissait pas. Cette femme au regard glacial, fuyant le moindre contact n’avait rien en commun avec la jeune femme qu’il avait élevée.
- Mais tu viens de dire qu’il t’avait protégé
- Il l’a fait, oui … Il devait avoir ses raisons
- Et c’est lui qui …
- Qui m’a violée et battue ? C’est ce que tu veux savoir papa ?
- Marie, ne soit pas insolente, je te prie !
- Papa, je te l’ai dit tout à l’heure mais tu ne sembles pas l’avoir compris, je n’ai plus 12 ans ! Et ce que je viens de vivre, crois moi me donne le DROIT d’être insolente, et même agressive si j’en ai envie ! Alors oui, je réponds à ta question, Nikolaï est l’homme qui m’a violée et battue. Il m’a même donné en pâture à ses hommes avant de changer d’avis, sans que je ne comprenne pourquoi et m’arracher à eux.
- Tais-toi Marie !
- Non ! Je ne me tairais pas ! Tu agis comme s’il ne s’était rien passé papa ! Ou peut être crois-tu bêtement que tout redeviendra comme avant ? Mais cela ne sera plus jamais comme avant ! C’est fini ! Je suis entrée dans un monde que je ne connaissais pas ! Un monde qui m’a fait prendre conscience de la chance que j’ai eu de naître dans une famille riche ! Jamais je n’ai du et ne devrai jamais envisager de me vendre pour espérer une vie meilleure ! Alors tu vois cet homme là m’a fait des choses ignobles mais …
- Mais ?
Soudain la voix de Marie se brisa. Elle se retourna comme pour ne pas montrer sa colère mêlée de honte et de chagrin.
Mais je n’arrive pas à lui en vouloir … Si je suis en vie, c’est grâce à lui… Et puis, il a du se battre lui aussi pour survivre là bas …
-Tu lui es reconnaissante, c’est normal. Mais cela va passer, nous allons trouver un médecin, le meilleur, s’il le faut. Il te guérira ma chérie
- Guérir de quoi ? Je ne suis pas malade
- Tu as subi un grave traumatisme, tu verras avec un peu de soin tout ira mieux
Mais Marie savait qu’aucun médecin ne pourrait la soigner. Il y avait quelque chose, une part d’elle qui était restée là-bas avec Nikolaï. Elle savait que quoiqu’il arrive maintenant, elle ressentirait toujours un manque, une désagréable impression d’inachevée. Ne désirant plus parler, elle entreprit de rassembler ses maigres possessions en vue du départ. Elle allait rentrer chez elle, d’ici quelques jours, elle pourrait même recommencer à travailler. La vie allait reprendre son cours, elle espérait que s’occuper d’enfants l’aiderait à reprendre pied et le temps aidant, à oublier les semaines qu’elle venait de vivre.
- Tu as fini ?
- Oui, je n’ai pas grand-chose à emmener.
- Bien nous pouvons y aller maintenant.
Paul l’emmena jusqu’à une voiture aux plaques diplomatiques. Marie redevenait la fille de l’ambassadeur et cette situation, loin de la rassurer, la paniqua.
-Vous alliez nous quitter sans même un au-revoir princesse ? L’interpella un homme
- Je ne suis pas une princesse !
Le ton qu’elle avait employé était froid et cassant. Comme à son habitude, elle se tenait très droite et maintenait tout le monde y compris son propre père à distance. Depuis qu’il la côtoyait, Devon Finley ne l’avait jamais vu exprimer une émotion. Elle n’avait même pas craqué. Elle était restée maîtresse d’elle-même dans toutes situations et ne parlait jamais sans avoir réfléchi à ce qu’elle dirait.
- Ce salopard m’appelait comme ça
- Pardon ?
A ce moment, il vit son regard se voiler. La demoiselle était donc capable de sentiments. Son visage se dérida pour laisser place à une expression douloureuse. Il sut, à cet instant ce que son ami lui avait dissimulé. Marie n’était pas la princesse de glace que ses hommes raillaient, elle était une femme magnifique, blessée mais courageuse. Une femme qui fit une nouvelle fois face à l’horreur.
- Pavel m’appelait « princesse », répondit-elle, radoucit
Je suis désolé, je ne voulais pas raviver de mauvais souvenirs.
-Merci … Monsieur Finley ?
- Oui ?
- Que va-t-il se passer maintenant ?
-L’enquête va suivre son cours
- Votre collègue m’a dit que vous l’aviez arrêté
- Je suis désolé, Melle Drumond
- Marie
- Je suis désolé Marie, quand nous avons fait une descente au club, Pavel était absent.
- Je ne parlais pas de lui mais de Nikolaï
Elle attendit le cœur battant la réponse du policier. Il fallait qu’elle sache, elle voulait des nouvelles de l’homme qui hantait ses pensées
-Il a bien été emmené au poste mais malgré un interrogatoire musclé, il est resté muet. Nous avons du le relâcher. Nous n’avons pas de preuve matérielle. Enfin vous savez…
- Oui, je sais, il s’est passé trop de temps entre le viol et l’examen médical
- Voilà … C’est sa parole contre la votre, il nous faut approfondir l’enquête mais nous ne pouvions pas le garder au-delà du temps légal …
- Vous avez parlé d’un interrogatoire musclé ?
- Et bien disons que les types de son espèce ont besoin d’aide pour se mettre à table. Mais si j’en crois les rumeurs, il risque de dérouiller plus fort dans les jours qui viennent.
L’effroi s’inscrivit sur le visage de Marie qui ressemblait, à présent, à une femme ayant peur pour son amant. Circonspect, Devon se demanda ce qu’il pouvait y avoir entre eux. Que Nikolaï soit profondément épris d’elle ne faisait aucun doute, mais qu’elle se soit attachée à son agresseur, l’étonnait. Rien dans le discours du russe n’avait pu le lui faire penser.
- Que voulez-vous dire par « il risque de dérouiller » ?
- Et bien, on nous a informé de l’arrivée de certains grands pontes de son organisation à Londres et si vous voulez mon avis, le fait d’avoir laisser échapper la fille de l’ambassadeur n’est pas un acte dont il peut se vanter
- Que vont-ils lui faire ?
- J’en sais rien …
- Monsieur Finley … Devon, j’ai besoin de savoir. Finit-elle par demander après avoir vérifié l’inattention de son père
- Pardon ?
- S’il vous plaît
-Il s’en sortira comme toujours –lui répondit-il laconiquement.
- Comme toujours ?
-Ce type là, c’est comme le Docteur, il a plusieurs vies
- Le docteur qui ??
- Laissez tomber, vous n’êtes pas anglaise, vous ne pouvez pas savoir. Tout ira bien pour lui, je vous assure
- Vous semblez bien le connaître
- Plus que vous ne l’imaginez …
A peine avait-il parlé qu’il comprit l’énorme erreur qu’il venait de commettre. Nikolaï lui avait plusieurs fois répété à quel point son « ange » était intelligent. Un coup d’œil lui suffit pour voir que la jeune femme avait compris les relations ambigües qu’entretenaient les deux hommes.
-Je ne voulais pas ça …
- Je suis certain qu’il le sait. Marie, je sais que nous ne nous connaissons pas mais je vais vous donner un conseil. Rentrez chez vous, reprenez votre vie et oubliez-le. Il sait parfaitement ce qu’il fait, il est inutile de vous inquiéter.
- Qui vous dit que je suis inquiète ?
- Personne en effet.
Sans rien ajouter, Marie se laissa entrainer dans la voiture par son père. Quoiqu’elle en dise, l’inquiétude se lisait sur son visage. La voiture démarra et Finley regarda la jeune femme s’en aller. Un sentiment de gâchis l’étreignit. Elle aurait pu être celle qui aurait redonné le goût à la vie à un homme qui l’avait perdu depuis bien longtemps maintenant